Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 juillet 2007 4 12 /07 /juillet /2007 18:24

FORME INTERMEDIAIRE 

INSTALLATON DU GROUPE BLOCK ARCHITECTE

AU LIEU UNIQUE A NANTES 02/03/04 2007

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      

 

 

 

 

article de Stéphane Lagré Pour le Catalogue de l'exposition "FORME INTERMEDIAIRE" du Groupe BLOCK Architecte

BLOCK OU LA PENSEE SAUVAGE - vers l’architecture immédiate -

 

L’ouverture au public d’une exposition est un moment particulièrement instructif. On surprend des remarques qui se perdent dans des réflexes culturels acquis. Il faut toujours qu’un sens se cache derrière les choses au péril de nier leur sensualité propre. Un usage maniaque de l’analogie[1] et de l’image voile la perception immédiate du dispositif architectural proposé par BLOCK. Ce dernier se veut pourtant tout aussi évident qu’un édifice réduit à sa seule présence, à son aura[2]. Il s’agit de l’intuition d’une recherche qui se trouve ici une nouvelle fois déclinée à la frontière des arts plastiques.

A observer les visiteurs de l’installation, il plane comme une incompréhension qui découle peut-être de ce que sont bousculées les conventions propres au genre de l’exposition. Une manière d’errer dans cet espace en désespérant de trouver sur quoi focaliser est assez symptomatique d’une désorientation pas uniquement spatiale. Le manque de point pour tracer la ligne d’une déambulation convenue semble signifier le manque d’œuvre à contempler, campant en arrière plan le désir, ici contrarié, de s’y retrouver en miroir, de se reconnaître : Les hommes ne peuvent rien voir autour d’eux qui ne soit leur visage[3].

En sous-titrant « dispositif architectural » BLOCK instille l’idée qu’en l’occurrence il serait question d’architecture, dans un espace habituellement dévolu à l’art. Certains semblent regretter par là qu’on ramène l’architecture à la gratuité de l’art. BLOCK, à travers « Forme intermédiaire », revendique pourtant l’enracinement de son intervention dans la discipline architecturale. L’objet installé est vaste. On ne peut l’embrasser d’un regard. Il nous faut bouger pour le restituer mentalement. Ici, ce qui est en jeu c’est l’espace, et c’est ce qui fait de cette installation une œuvre d’architecture. L’errance du spectateur est conçue comme la composante capitale d’un dispositif non plus plastique[4] mais architectural. BLOCK ne continue pas les travaux de sculpteurs qui ont sacrifié « l’objet sculpture » à l’espace[5], envisageant ainsi une synthèse avec l’architecture. « Forme intermédiaire » n’est pas de l’ordre de la sculpture. Il s’agit bien, presque en sa seule qualité « d’espace organisé »[6], d’une architecture. L’installation se voit ainsi qualifiée de « dispositif architectural ». Cela n’implique pas qu’on lui conçoive une destination. Architecturer, c’est travailler l’espace. Cette installation est une formalisation supplémentaire de ce message dans sa simplicité radicale.    

Simple, la parole de BLOCK est sèche, précise, je la dirais cependant faussement aride. Sans atténuer  l’exigence obstinée de leur recherche, une certaine légèreté présidait à la conception de cette installation. La mise en œuvre d’un plafond relativement bas pour un espace aussi vaste que la cour du « Lieu Unique » fait autant écho au film « being John Malkovich» de Spike Jonze qu’à l’expérience spatiale qu’on peut faire d’un Blockhaus[7]. Dans l’idée d’une expérimentation de la présence phénoménale de certains  lieux, leur déplacement schématique dans l’enveloppe de la cour du « Lieu Unique » n’est pas opéré sans humour. Les membres de BLOCK voient, dans la manière de s’approprier une enveloppe, un peu de la stratégie du Coucou ou du Bernard l’Hermite[8]. Suggérant ainsi que l’idée d’architecture pourrait se suffire d’être l’appropriation d’une cavité préexistante. Le fait d’habiter une caverne marquerait en quelque sorte les débuts primitifs de l’histoire de l’architecture[9]. 

             Incidemment, la précision chirurgicale et sèche de leur expression abstraite et quelque peu minimale pourrait être perçue comme agressive (ces architectes ne seraient pas assez attentifs aux hommes pour ne s’attacher qu’aux choses). Il y aurait comme quelque chose de méchant dans l’œuvre de BLOCK, couvant dans la radicalité assumée de leur expression habituelle, une violence inscrite dans le dépouillement de tout bavardage. Mais ces architectes ne conçoivent pas l’humanisme comme le moteur d’une oeuvre qui ne se paye pas de bons sentiments. Le style est la moindre des concessions à faire au public ; il est surtout une attention portée à sa propre exigence. Pour eux ce qu’il y a de travaillé dans leur objet, la qualité de son exécution, est la marque d’une sobriété élégante. Le détail soigné et réfléchi sert en outre un propos qui ne peut souffrir la confusion : Les libertés délibérément prises avec la mise en œuvre normale d’un plafond suspendu standard visent en l’occurrence à détruire les préconçus qu’il véhicule, à briser la résistance formelle de cet objet stéréotypé, à ouvrir le potentiel d’une forme qui nous enferme d’emblée dans des à priori[10]. 

En cela BLOCK se montre particulièrement attentif au signe, à tout ce qu’une mise en œuvre particulière peut contenir d’un langage, dans la perspective toutefois d’en désactiver le sens réducteur, d’en taire le bruissement. La beauté du plafond suspendu détourné constitue alors une manière de « ready made » qu’on aurait coupé du jeu trop exclusif qu’il entretient avec la sphère du langage.  L’installation y gagne en visibilité, on peut en goûter la présence immédiate. Il y a dans cette installation l’idée d’émancipation du regard qui ouvre le spectateur à la sensualité de son environnement et suggère la curiosité renouvelée d’un lieu. On vient voir cet espace comme on vient contempler un paysage[11]. 

 Le désir personnel de s’exprimer n’implique pas le désir d’exprimer sa personne. La personnalité de BLOCK réside toute entière dans une sensibilité singulière aux lieux et cette manière relativement impersonnelle d’y intervenir. Ce qu’il y a d’une pensée sauvage sourd pourtant sous la froideur calculée de l’objet mis en œuvre dans cette installation. Elle suggère un regard poétique porté sur ce qui les entoure, moins savant que gouverné par cette sensibilité intuitive qui leur est propre. Toujours plus affinée par la connaissance, leur approche ne perd pas cette énergie première, leur parole n’est pas abandonnée au flot impersonnel des références.

Dans cet ordre d’idée BLOCK se propose l’inculture comme attitude fructueuse : partir de soi-même, réceptif au monde, faire sonner sa pratique à la manière d’un standard de musique pop[12]. Cette pensée sauvage possède toujours les accents du meilleur du « futurisme ». Cela revient à privilégier l’action à la rumination, la sensualité à la signification, le contenu de l’expression à celui des motivations, le nouveau au convenu, le devenir à l’essence, à purger la forme de tout résidu symbolique, à saisir l’élégance de beautés modernes non canoniques[13]. Se proposer l’inculture comme attitude ne signifie pas la revendication d’un manque de culture mais l’idée de son appropriation, la perspective de sortir des sentiers battus en s’autorisant la volupté d’évoluer virtuellement comme en territoire inconnu. Dans ce que produit cette pensée, centrée sur sa propre vitalité, Il y a là quelque chose de cette « séduction sérieuse » qui opérait déjà dans la musique punk, et malgré l’appauvrissement assumé de l’expression musicale, lui donnait le pouvoir de déprécier la valeur de musiques rock abordées sous l’angle de la technicité virtuose. Vision populaire d’un « less is more » perceptible ici en ce qu’est transcendé l’esthétique banale d’un produit industriel au service d’une intuition initiale plus profonde.

Ainsi représentative d’une démarche centrée sur l’appropriation du réel, « Forme intermédiaire » ne s’inscrit pas dans une filiation consciente ; toute ressemblance avec des œuvres du passé, de la « no-stop city » d’Archizoom, à Archigram en passant par Superstudio serait faite de rapprochements abusifs, à la limite du contresens - être comme victime des apparences, prendre au sérieux la superficialité du goût. BLOCK ne revendique pas d’héritage. D’une certaine manière il est suggéré que, culturellement, la pratique architecturale n’est pas forcément tributaire de « l’histoire de l’architecture ». Il s’agit encore de l’affirmation que l’architecture peut advenir, exister, hors de toute référence typologique. C’est toute l’ambition d’un travail qui s’attache à coller au plus près d’une expression radicale du concept d’architecture. Le recours à la référence existe bien chez BLOCK, mais comme le goût partagé d’une esthétique commune à ses membres, une inspiration, une certaine idée du style. Ce recours à des univers esthétiques tissent un réseau purement affinitaire de formes dans lequel on puise comme dans une garde robe. Mais l’intelligence de leurs interventions passe toujours autrement que par la citation, dans une pertinence sans image qui fait la radicalité d’un travail dont il faut souligner la cohérence.

L’idée d’appropriation comprise comme un moteur de la création est reconduite dans cette installation envisagée maintenant comme l’élaboration d’une « forme potentielle ». « Forme intermédiaire » est un dispositif auquel il manque toujours une dimension. Dans cette vacuité sciemment ménagée demeure le possible, la potentialité : ce que recouvre la notion d’appropriation. Mais nous sommes loin d’une approche participative qui revient bien souvent à conduire insensiblement le spectateur là même où on avait conçu qu’il devait être. L’appropriation, c’est une dimension qui manque et s’accomplit dans le mouvement du temps. C’est « l’événement » fêté comme un achèvement de l’œuvre. Nous voilà renseigné sur la conception qu’a BLOCK de l’usage et le rapport contradictoire que ce collectif entretient avec l’idée d’adéquation du signe et de la fonction, l’idée de forme appropriée. L’appropriation est simplement pour eux le mouvement par lequel l’objet trouve une destination, devient ustensile. Il ne prend qu’une fonction transitoire[14]. Le signe n’est pertinent qu’en ce qu’il indique un territoire. A quoi cela sert-il ? Où cela va-t-il ? Cette préoccupation étrangement utilitaire dénote un certain désarroi du spectateur. La force du travail mené par BLOCK réside dans l’obstination à rendre perceptible et sensuelle la qualité de ce genre « d’utilité » qui demeure inaperçue tant qu’elle n’est pas activée.

« Forme intermédiaire » est une forme mutante qui laissera au passant attentif la saveur de moments qualitativement différents au fil des actions qui s’y succéderont. « Forme intermédiaire » signifie toute la force du devenir. L’objectif de rendre immédiatement perceptible ce qui était déjà là en puissance. Elle propose une forme sans objet qui implique le moins possible la dimension personnelle et constitue toute l’ambition de ce qui pourrait être nommé « espace sans affectation ». Un dispositif qui intègre l’idée d’un acte minimum, agissant à la manière d’un amplificateur ou d’un révélateur, une machine ouverte à toutes les connexions.

                Les actions de BLOCK impliquent une prise en compte du milieu, de l’environnement qui dépasse la notion traditionnelle du contexte pour atteindre celle de paysage.

Stéphane LAGRE_ DATA0.10_Architecte, Cofondateur du blockhaus DY10


 

[1] La plus douteuse des analogies renvoie l’installation que propose les membres de L’agence BLOCK à la problématique de la dualité du réel et de quelque « arrière monde », la réduisant à l’image pauvre de « l’envers du décors », au poncif version déco de la grotte de Platon.

[2] Un blockhaus ramené à la seule présence de sa matérialité fut le contenu d’une émotion fondatrice qui souda à elle seule l’énergie d’un groupe en 1994. Le fait que l’effectif de l’agence ait émergé du groupe initial qui avait fait d’un Blockhaus Nantais un lieu expérimental (toujours connu sous l’enseigne du « Blockhaus DY10 ») nous renseigne sur la nature de leur singulière sensibilité architecturale.

[3] Sentence poétique que l’on doit à Karl Marx que je détourne à dessein.

[4] J’ai pu assister à certaines étapes de la conception de cette installation et participer à quelques discussions autour de la préoccupation de se démarquer de l’idée « d’installation purement plastique ». Au départ l’agence BLOCK prévoyait trois « architectures radicales ». Cela impliquait qu’on puisse tourner autour et le risque était grand d’une méprise qui reviendrait à replacer leur intervention dans une stratégie de l’objet, le contresens le plus fâcheux réduirait le tout à l’idée d’objet d’art. Les « architectures radicales » sont devenues cette « Architecture intermédiaire » dont la radicalité de l’expression interdit maintenant toute ambiguïté de cet ordre.

[5] Le Corbusier définissant l’architecture comme le « jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière » trahit une vision de l’architecture sacrifiée à la sculpture : l’espace est réduit au vide qui met en valeur l’objet et non l’inverse. Block fait une part égale à l’ombre et à la lumière dans son installation.

[6] « L’architecture […] considérée comme l’art d’organiser l’espace », Une définition minimale de l’architecture qu’on doit à Auguste Perret, est rappelée par Jean Nouvel à l’occasion du catalogue de l’exposition qui lui était consacrée, Paris, Centre Georges Pompidou, 28 nov. 2001-4 mars 2002.

[7] Le labyrinthe des alvéoles du Blockhaus DY10 (Bd Léon Bureau à Nantes), si familière au groupe, plafonne à deux mètres vingt. Dans le film de Spike Jonze on avance penché sous un faux plafond trop bas, lieu improbable par lequel on passe pour entrer dans la peau de John Malkovich.

[8] La cours du « Lieu Unique » est laissée dans son jus : elle constitue un vestige « patrimonial » en ce qu’elle évoque ce qu’il reste d’authentique de l’ancienne usine LU. L’évidence de cette espace est trompeuse puisqu’il nous est caché tous les procédés constructifs complexes mis en œuvre par l’architecte Patrice Bouchain pour obtenir ce qu’il faut appeler un « effet de préservation ». Les BLOCK, en ce que leur installation se veut un révélateur du lieu, s’approprie à leur manière cette démarche initiale qu’ils continuent à leur manière.

[9] Qu’on fasse  habituellement  remonter l’histoire de l’architecture au moment original où l’homme a lui-même conçu l’enveloppe de son habitat, la hutte primitive ou la tente en étant l’archétype, est ici remis en cause pour s’attacher plus radicalement à l’espace sous l’angle de son appropriation. Ce qui rapproche le fond de l’installation de l’idée d’une grotte contemporaine.

[10] Que les visiteurs ne réfèrent pas spontanément à l’ambiance d’une usine ou d’un bureau paysager montre la pertinence des détournements opérés sur le plafond suspendu afin de neutraliser le conformisme des associations d’idées qu’il suggère habituellement.

[11] C’est un ravissement que de saisir le trouble de visiteurs, montés par l’échafaudage sur la surface éclairée du plafond suspendu libéré de ses entraves et imprimant un léger mouvement de balancier, ayant la sensation amusée que le sol se dérobe sous leurs pieds. Perturbation insensible qui suscite un autre type de sensation en bas mais tout aussi proche de l’émerveillement enfantin.

[12] Certains ont fait le contresens : la production des BLOCK se place sur le terrain de « l’architecture non-standard ». Leur attitude « Pop », qui vise au réemploi systématique de produits standardisés, dévolus à la construction, montre le contraire. Ce qui n’implique pas qu’on ne puisse en faire un usage non standard, détourné. Il faut rappeler que l’architecture dite « non-standard », elle, se comprend comme le recours exclusif, encore expérimental, à des techniques industrielles propices à la production directe de formes spécifiques (prototypage rapide, fabrication assistée par ordinateur, machines à commandes numériques), à l’opposé de la standardisation. Le standard, produits conçus pour être  lancés sur le marché, représentant encore le réalisme actuel d’un secteur de la construction hérité du mouvement moderne,  implique un déplacement de la créativité sur le terrain de solutions d’assemblages.

[13] Cf. le manifeste futuriste de F.T. Marinetti : Une automobile…est plus belle que la Victoire de Samothrace.

[14] Pour illustrer cela on peut citer cette anecdote qui nous a toujours séduit : « Lors de sa visite au Bauhaus de Dessau, Malevitch y va d’une parabole, rapportée par Peiper, qui déconcerte Gropius : Un jour, pour s’amuser, il a découpé une tasse en deux parties perpendiculaires. C’était durant une période de difficultés financières. Il se fit sermonner par sa femme. Une partie comportant une anse lui a beaucoup plu et il l’a donc conservée. Un jour, il ne l’a pas trouvée à la place où il l’avait laissée, sa femme s’en servait pour verser le sucre ou la farine… » cité in Kazimir Sérévinovitch Malevitch _  Frédéric Valabrègue

Partager cet article
Repost0

commentaires